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Motsaïque : histoires et nouvelles composées de petites pièces (en mot, en phrase, en paragraphe, etc.) de différentes couleurs, assemblées et jointoyées avce le verbe ; art de composer de tels ouvrages. Ses histoires ont une beauté brute, sauvage. Du mot inerte, il leur rend la vie. nouvelles textes en ligne

 


A.N.P.E.

Ahainepéheu acronyme de : Agent National Pour l’Extermination
Ass-édic (Agence des Services Sociaux de l'Extermination des Dirigeants et Individus Contractuels)

Un licenciement vient d'être ordonné, à 22h . L'exécution doit être immédiate.
L'ordre est lancé. L'agent est en route...

Vingt deux heures quinze.

Le couvre-feu était appliqué depuis plus d’une heure déjà, et pourtant un véhicule se glissa silencieusement dans cette artère de la ville... et quelques secondes plus tard stoppa au milieu de la rue.
L’Agent National Pour l’Extermination quitta son aéroglisseur blindé de mauvaise humeur.
Néanmoins, il inspecta la rue par pure conscience professionnelle.
Une balayeuse automatique attira son regard, et il s’en désintéressa aussitôt. Il aurait aimé se défouler sur quelques traîne-savates, mais la chance n’était pas avec lui ce soir.
Il fulminait d’avoir été appelé à cette heure tardive, pour un minable licenciement... d’un minable employé.
De plus en plus contrarié contre ce prochain rendez-vous, il vérifia une dernière fois sa fiche et la jeta dans la rigole. Après avoir lu le nom du futur chômeur, un rictus de dégoût lui déforma la bouche.
Mr Yang Tin, appartement 212, habitant au 121 avenue Jeanne d’Arc.
Une petite note ajoutait : travail facile, remettre la lettre en main propre*.
La petite astérisque accrochée sur le dernier mot, avait amené le regard de l’agent vers le bas de page. Un petit sigle humoristique semblait vouloir dire que l’expression était appropriée pour la circonstance.
Il n’était pas seul à vouloir rencontrer M. Tin.
Une ombre se faufilait à travers le dédale de rues, espérant arriver avant l’agent national pour l’extermination. Seulement une voiture de patrouille surgissant à l’autre bout de la rue, l’obligea à se fondre dans l’obscurité.
Arrivé à sa hauteur, les hommes de la milice urbaine saluèrent avec respect l’A.N.P.E. Le commandant de la patrouille demanda :
– Un coup de main, monsieur ?
– Merci, gronda-t-il. Cela ne sera pas nécessaire aujourd’hui, dit-il en inspectant les visages des hommes de la milice.
Aucun n’était sur sa liste. Il les salua à son tour, avant de s’élancer vers sa destination.

L’A.N.P.E. pénétra dans l’immeuble de M. Tin. En professionnel, il inspecta tous les noms sur les boîtes au lettres. Il trouva celle qu’il cherchait et effaça l’étiquette, avec son appareil de contrôle.
À l’aide de son multipass, l’agent national accéda facilement au deuxième étage. Il s’offrit même le luxe d’emprunter l’escalier. Il espéra débusquer un Sans Domicile Fixe, et ainsi faire d’une pierre deux coups, s’amusa-t-il en réfléchissant sur le montant de la prime offerte. Elle était aujourd’hui de 1000 crédits, et ce petit extra l’aurait enchanté. Il rêva même de d’être promu 1er de son secteur.
Il ne croisa pas âme qui vive et déboucha sur le palier de Mr Yang, cette fois-ci en colère. Comme tout était propre, il se demanda s’il ne s’était pas trompé d’adresse. Un coup d’oeil sur son ordinateur de poignet lui confirma qu’il était au bon endroit. Il apprit aussi qu’en haut lieu, on s’impatientait. Au lieu d’avoir du bonus, il venait d’en perdre.
Avec hargne, il frappa violemment à la porte du dénommé Yang Tin. Délaissant le bouton de la sonnette, trop sympathique à son goût. Il voulait une entrée tonitruante et fracassante, qui lui seyait mieux. Vu son humeur à présent massacrante.
Le bruit attira l’attention des voisins de M. Tin, mais dès qu’ils aperçurent les insignes de l’ASSEDIC sur l’uniforme gris de l’agent de l’A.N.P.E., ils s’enfermèrent chez eux à double tour. Et ils augmentèrent le son de la télévision, pour bien montrer qu’ils se conformaient à la loi des médias. La loi des Quatre Heures.
Personne ne désirait se retrouver sur la liste des demandeurs d’emploi.
La liste des INSCRITS !
Une voix aimable, à l’accent chantant de l’orient, se fit entendre :
– J’arrive !
– A.N.P.E., ouvrez immédiatement, gronda l’agent.
Le petit homme ouvrit et salua l’étranger avec politesse.
L’agent national entra en repoussant M. Tin contre le mur.
– Tu habites seul ici ? questionna-t-il brutalement.
– Oui, j’habite seul, répondit aimablement le petit homme.
– On dit, oui MONSIEUR. Tu as compris !
M. Tin ne fut pas choqué d’entendre les mots prononcés par l’homme en gris. Mais il ne s’abaissa pas à répondre.
L’agent de l’A.N.P.E. s’avança dans la pièce, une salle à manger charmante, à l’ambiance chaude, aux couleurs chatoyantes. Il la détesta aussitôt. Il n’aimait que le gris. Sur la table, plusieurs lettres attendaient d’être ouvertes.
– Tu n’as pas encore ouvert ta lettre de licenciement ! s’écria l’agent en jetant une nouvelle enveloppe sur la table de la salle à manger, avec jovialité.
Il aimait s’amuser avec ses futures victimes, voir leurs visages s’allonger, se décomposer par la surprise.
Mais le visage impassible de l’oriental, lui coupa son effet.
M. Tin sûr de son droit et sûr de ne pas être inscrit sur la liste, resta stoïque devant l’homme en gris.
– Je travaille à la grande surface du quartier et je ne suis pas inscrit sur la liste des demandeurs d’emploi, dit-il sur un ton ferme.
– À ton avis, pourquoi m’a-ton envoyé ? cracha l’agent. Pourquoi, un Agent National Pour l’Extermination, un A.N.P.E. de ma classe, serait là devant toi ! Tu devrais être fier de savoir que l’on t’envoie la crème des crèmes, railla-t-il.
M. Tin commença à se départir de son calme, commençant à saisir qu’il devait être inscrit sur la liste. Il regarda avec effroi l’enveloppe rouge du grand magasin « Blanc ». Blanc avec une majuscule. Une vague de panique s’empara de lui. Il se précipita vers la table de la salle à manger et déchira l’enveloppe malencontreusement.
– Il ne fallait pas déchirer l'enveloppe, ricana l’agent.
Un chuintement se fit entendre et un gaz latent enveloppa M. Tin. L’enveloppe expulsa le poison.
L’agent de l’A.N.P.E., immunisé contre le gaz, ouvrit sa mallette et raya le nom de M. Tin de la liste des INSCRITS. Il ramassa la lettre de licenciement et la parcourut des yeux.
SUITE A UNE MALENCONTREUSE ERREUR DE VOTRE PART SUR LA COMMANDE DE MR ALPHONSE IVOIRE, C.E. (Citoyen Exemplaire). NOUS AVONS LE PLAISIR DE VOUS ANNONCER VOTRE LICENCIEMENT IMMEDIAT DE NOTRE SOCIETE.
M. YIANG TAN, ou YUANG TIN, ou TYANG TAN, ou YANG TIN, N.C (NON Citoyen) (l'ordinateur n’étant pas programmer pour écrire les noms étrangers), VOUS ÊTES DÉSORMAIS INSCRIT SUR LA LISTE DES DEMANDEURS D’EMPLOI, DES 22HEURES CE SOIR.

De retour dans la rue, l’agent national ne s’aperçut pas qu’un homme dans l’ombre l’observait, avec un regard fixe. Les yeux noirs. Bouillant de l’intérieur.
L’inconnu quitta l’abri de l’obscurité et s’avança vers l’agent, en crachant par terre.
– Dites-moi ! l’harangua l’A.N.P.E. Je vous ai vu cracher par terre. Je porte plainte immédiatement à la centrale de répression. Placez vos mains contre le mur et attendez la patrouille d’intervention.
L’agent n’en crut pas ses yeux, l’inconnu n’obéissait pas à son ordre.
– Je suis un Agent National Pour l’Extermination. Vous serez licencié dès demain, lança-t-il dérouté par l’attitude de l’inconnu qui s’avançait toujours vers lui.
Au lieu de voir la panique s’affichait sur le visage de l’inconnu, il vit s’épanouir un sourire moqueur.
L’agent ressentit une légère douleur allant du menton jusqu’au cerveau, quand l’inconnu voulut lui serrer la main.
L’homme qui s’appelait Arnal, venait de lui enfoncer quinze bon centimètres d’acier dans la gorge, et lui dit avant qu’il ne perde définitivement conscience :
– Je suis un Agent Recruteur, dit-il moqueur. Demain un autre aura ta place. Ton successeur, je le tuerai aussi... mais, plus tard.
Arnal retira sa lame d'un coup sec, laissant le corps sans vie s’affaler par terre.

Arnal s'éloigna du quartier. Il était sombre... il était arrivé trop tard pour sauver le petit chinois. Demain, il irait à l'A.S.S.E.D.I.C. (Agence des Services Sociaux de l'Extermination des Dirigeants et Individus Contractuels). Le nouvel agent le mènerait chez les prochains licenciés, il n’aurait aucune expérience et il pourrait envoyer les INSCRITS dans la zone libre avant que l’agent ne donne les lettres de licenciement. Jusqu’au jour où il prendrait plus de précautions. À ce moment là, ce nouvel agent rencontrerait quinze centimètres de tungstène laminé.
Arnal abandonna la zone National cette nuit, il avait besoin de se décontracter en zone libre...

Jack Sigurson