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Motsaïque : histoires et nouvelles composées de petites pièces (en mot, en phrase, en paragraphe, etc.) de différentes couleurs, assemblées et jointoyées avce le verbe ; art de composer de tels ouvrages. Ses histoires ont une beauté brute, sauvage. Du mot inerte, il leur rend la vie. nouvelles textes en ligne

 


Médiatique

 

Vue d’ailleurs...

 

La caméra file à toute vitesse au-dessus des champs de ruines et des plaines dévastées par la guerre. La grosse bulle de verre, qui la contient, parcourt l’espace et les planètes grâce à quatre propulseurs tachyoniques, de la taille d’un doigt humain. Elle bouge sans cesse, épiant, scrutant chaque mètre de terrain avec une précision démoniaque. La traque, danse frénétique mais assurée, la mène vers ses “proies” : la mort, le sang, la souffrance...
Entièrement automatisées, un zeste de pensée individuelle, les caméras de la “Média-Info” sont capables de pourchasser l’information toutes seules à travers l’univers. Elles sont à ce jour des milliards pour la joie des innombrables foyers éparpillés dans les étoiles.
Au départ, elles n’ont qu’un matricule. Mais suivant leurs exploits et autres, elles peuvent en toute liberté prendre un nom de baptême. Bêta-6XKY-2454 a emprunté celui d’un biographe romain : Suétone.

Loin d’elle, au coeur de l’espace, dans un mini-jet spatial de retransmission de la Média-Info, Kleg et Cnomos en habit étincelant, suivent pas à pas les évolutions de Suétone.
Le dernier sondage universel les a élus : meilleurs reporters de l’Univers !
Mais, à cet instant, Kleg et Cnomos sont inquiets... le calendrier indique qu’une semaine vient de disparaître sans le moindre fait sanglant ! Pas un cadavre à se mettre sous la dent... sous l’oeil serait plus adéquat ! Un comble sur une planète en guerre, où s’affrontent depuis seulement cent dix-sept ans les Terriens et les Naxiens. La population n’étant pas complètement éliminée, il devrait bien y avoir encore quelques massacres d’innocents à retransmettre sur les ondes. Des trillions d’humains avides de sensationnel et de morts sont dans l’attente ! Quel scandale !
Pourtant avec l’appui du module Média-Info et de Suétone, ils peuvent donner de précieuses informations aux deux parties en conflit. Leurs détecteurs sont les plus puissants de l’univers et peuvent dévoiler ainsi les cibles souterraines, les usines sensibles, une section en embuscade, etc., aux ennemis en présence. À l’un ou l’autre des camps, la Média-Info se doit d’être neutre ! Mais chut ! C’est un secret... Seules les très hautes sphères connaissent la vérité.
Malgré cela, depuis une semaine, il ne se passe rien ! Pas une once de combat violent, de villes détruites sous les bombes et les missiles.
- Qu’est-ce qu’ils font sur cette planète, par la sainte télévision ! s’exclame Kleg.
Cnomos renchérit :
- Par la sainte télécommande, je n’en sais rien. Ils ont peut-être testé une nouvelle bactérie tueuse. Et ils sont tous morts d’un coup.
Kleg hurle d’une voix tonitruante :
- Ha non ! Ils n’ont pas le droit ! Je vous rappelle chers téléspectateurs qu’il est formellement interdit de tuer, massacrer, égorger, sans que la Média-Info soit là pour vous tenir informés. Je n’aime pas ton histoire Cnomos !
Le collègue de Kleg s’excuse aussitôt. Il reprend, un rictus mauvais aux lèvres, en coupant son micro :
- N’en parlons plus, mon cher Cnomos ! J’ai une idée... Nous allons les aider en leur proposant une idée. Un missile !
Cnomos applaudit :
- Oui ! Excellente idée Kleg ! Et par le plus grand des hasards : bactériologique ?
Kleg tout sourire exulte :
- Bravo Cnomos ! Et qu’il explose... sur la capitale ! Oui quel malheur ! Quelle horreur... susurre Kleg. Cela serait horrible de voir tous ces bons survivants mourir en quelques minutes, dans des souffrances atroces, leurs yeux emplis d’effroi... il nous faudrait un père portant son enfant sanguinolent... oui cela serait merveilleux mon ami, et pour le plus grand plaisir de nos téléspectateurs.
Kleg et Cnomos imaginent les prix et récompenses qui en découleraient.
Un bip résonne !
Kleg remet en fonction son micro ainsi que Cnomos. Ils n’ont droit qu’à quelques minutes par jour de déconnexion avec le central de la Média-Info. Leurs capteurs audiovisuels individuels doivent être perpétuellement en fonction, où qu’ils aillent ! Au petit coin, chez eux, au travail, partout ! La Média-info se doit de vous dire la vérité !
Kleg murmure larmoyant :
- ...un corps se carboniser sous l’effet du feu ou encore se dissoudre et se répandre sur le sol grâce aux nouveaux défoliants ! C’est monstrueux ! pleurniche-t-il à l’attention des oreilles espionnes du central qui peut à tout moment passer votre conversation à l’antenne, dans la plus grande liberté d’expression qui soit. Naturellement tout mot proscrit par les articles de loi de la Média-Info sont passibles d’amende, de peine de prison, et de travaux d’utilité à la Média-Info (Le T.U.M.I).
Un bip d’annonce, soyeux et léger, retentit. Sur un petit écran apparaît : page de publicité de la Média-Info.
Cnomos fait un signe à Kleg pour prendre la parole :
- Vous êtes avec nous, chers téléspectateurs ! Devant votre télé High-tech Média-Info. Et l’un des membres de votre famille n’est pas en train de nous regarder ! dit-il avec émoi. Mais dénoncez-le immédiatement ! vocifère-t-il dément et se reprenant en douceur : Ô non... ne le frappez pas tout de suite ! NON, je vous en prie, dit-il quasiment en pleurs. Avant, surtout, décrochez votre appareil de communication ! Nous nous occuperons de tout... il attend une seconde et clame : oui vous êtes en direct avec nous ! Allô ! C’est à vous ! Dites-nous qui vous êtes ?
Une voix explose dans les haut-parleurs de la cabine et ceux des téléviseurs de trillions de foyers.
- Bon... bonjour. Je suis Mme Heurk ! crie-t-elle.
Cnomos répond avec une emphase feinte :
- BONJOUR Mme HEURK ! Vous voulez nous dire quelque chose, peut-être nous remercier... ajoute-t-il avec espoir.
- Non, non, c’est qu’il n’est pas là ! hurle-t-elle. Je...
Avant qu’elle ne puisse continuer Kleg lance :
- Alors dénoncez ce mécréant à l’ensemble des téléspectateurs de la Média-Info ! Ô que j’aurais aimé vous entendre dire, je vous appelle pour vous dire que je vous aime... Mais non ! Encore et encore un appel de détresse pour aider cette malheureuse personne qui n’est pas devant NOUS ! Alors qui est-il ? QUI EST CET IGNOBLE PERSONNAGE ? demande-t-il avec véhémence.
- Mon... mon mari est aux toilettes et il n’est pas là ! s’égosille la femme.
Cnomos se prend la tête à deux mains et semble ébranlé par la nouvelle.
Kleg très sérieusement poursuit :
- Mais c’est... c’est... IL EST AUX TOILETTES ! Au lieu de nous regarder ! Je n’ai aucun mot pour vous dire combien je suis peiné, attristé, d’entendre cette nouvelle. Votre caméra individuelle personnalisée est-elle branchée ?
Kleg pose la question en sachant pertinemment qu’elle est en fonction 24h/24H. Et qu’il est INTERDIT de la débrancher.
- Voui, voui, répond la femme inquiète.
Sur un écran de contrôle, Cnomos observe la femme chez elle. Il lève le pouce à l’intention de Kleg.
- Oui ! Je vous vois, chère madame Heurk ! Quelle joie de vous découvrir dans votre taudis... magnifique appartement loué par la Média-Info. Elle vous filme et vous êtes en train de nous appeler... c’est merveilleux... et si encore de la chance frappe à votre porte...
Cnomos dans un état de piété intense, les mains jointes comme pour prier, ajoute :
- Alors vous gagnerez une nouvelle télétridimension pour votre maison, afin de regarder partout-partout la Média-Info, dit-il quasiment en transe et il reprend avec un sourire étincelant (une flèche pointée sur ses dents, un encart s’affiche : vos dents blanches grâce à Molgate). Nous rappelons à nos aimables et respectueux téléspectateurs le règlement de la Média-Info : il est obligatoire de regarder la Média-Info plus de cinq heures par jour, dont une heure entière sans quitter l’écran des yeux. Nous rappelons aux gentils enfants qui nous regardent 24h sur 24, qu’une nouvelle amphétamine ultravitaminée est enfin disponible chez vous par la Média-Info.
Kleg mielleux n’arrête pas de marmonner :
- Hooooo... Hoooooo... Alors Mme Heurk ! Heureuse de gagner une nouvelle tridi télévision pour son chez soi de la Média-Info ?
- Haaaa ouiiiiii... et pour mon mari... demande-t-elle soudain inquiète.
La pauvre homme venant d’arriver dans la pièce découvre sa femme le combiné accroché à l’oreille et lui en gros plan sur l’écran de télé. Ahuri au début, il sourit pour se reprendre.
Kleg le remplace aussitôt l’air mauvais en le fixant :
- Mr Heurk où étiez-vous ? OUI MONSIEUR HEURK oseriez-vous nous le dire ?
L’homme balbutie, le visage décomposé :
- Je... je suis malade... j’ai une gastro...
Cnomos ne le laisse pas terminer et s’écrie :
- MONSIEUR HEURK ! Des hommes et des femmes meurent à cette seconde précise et vous ne pensez qu’à vous, à vos intestins, ajoute-t-il avec un rictus dégoûté. HEUREUSEMENT NOUS SOMMES LA Média-Info ! Vous rendez-vous compte que vous auriez pu être sur une planète arriérée où nous n’existons pas ! Et que personne ne vous viendrait en aide ! Nous allons vous pardonner ce moment d’égarement Mr Heurk ! OUI nous allons vous PARDONNER !
Kleg termine :
- AMEN !
Un choeur de trillions de téléspectateurs reprend :
- AMEN !
Et la sonnerie de la porte d’entrée de l’appartement de Mr et Mme Heurk retentit à cet instant. Elle quitte la pièce, mal à l’aise, suivie par les caméras, et va ouvrir la porte...
Deux infirmiers de la Média-Info sont sur le palier, blouses et dents blanches, gants immaculés, propres, surnaturels, et ils pénètrent dans le taudis... heu pardon le luxueux logement loué par la Média-Info. Avant que Mme Heurk ne puisse refermer la porte, deux commerciaux de la Média-Info apparaissent aussitôt. Les logos de la Média-Info les couvrent de la tête aux pieds, des images publicitaires en 3D parcourent les costumes. Et à leur suite scintillant de mille feux un chariot robotisé apporte la nouvelle tridi télévision... Tout ce petit monde entre à la queue leu leu... une musique céleste les accompagne cérémonieusement. Dans les étages, le silence, personne ne vient voir le spectacle, les gardes de la Média-Info veillent au bon déroulement du direct.
Les infirmiers vont vers Mr Heurk statufié ! Il a déjà vu cette scène. Mais cela ne pouvait pas lui arriver, non pas à lui. C’est dans la télé que cela existe, pas dans sa vie. Ils l’obligent gentiment à s’asseoir dans son fauteuil. Comment peuvent-ils savoir ce détail ? Ha oui, les caméras personnalisées bien sûr. Ils l’installent confortablement. Combien de temps les autres sont-ils resté cloués devant le poste de télé de la Média-Info ? Il ne sait pas, la Média-Info ne retransmet jamais ces parties de vie. L’un des homme en blouse blanche immaculée, prend un pistolet hypodermique et lui injecte un produit.
Kleg murmure, dans un écho de cathédrale :
- Oui Mr Heurk, nous allons vous guérir... Oui vous ne serez plus jamais malade de votre vie, grâce à la Média-Info. Vous n’aurez plus jamais sommeil ! Grâce à la Média-Info. Et vous pourrez nous regarder, la Média-Info, tout le temps, même lors de vos moments de détente, n’est-ce pas merveilleux ? Oui Mr Heurk, vous avez bien de la chance ! Votre mémoire va être décuplée et vous allez pouvoir réciter nos meilleurs moments, nos meilleures publicités, à tous vos collègues de travail pendant vos pauses ! Vous allez devenir un modèle pour tous ! Grâce à la Média-Info, AMEN. Oui vous avez de la chance qu’une vilaine maladie vous ait bloqué dans vos lieux de commodités ! Ce n’est pas de votre faute cher Mr Heurk ! ET LA MEDIA-INFO sait le reconnaître ! OUI ! Nous allons sauver votre âme perdue, mon fils...
Mr Heurk vient de comprendre ce qu’il va devenir. Oui un lobo, comme on les appelle entre deux zones non contrôlées par “la MI”, la Média-Info. Ces hommes qui ne font, qui ne parlent plus que de ce qu’ils ont vu à la télé. Ils ont l’air normaux, même ils font de l’humour mais l’autorisé ! Bon, c’est trop tard pense-t-il. Un sourire imbécile se colle sur son visage. Il fredonne déjà le slogan de la Média-Info.
Pendant ce temps-là, les techniciens ont installé la nouvelle télétridivision dans un coin de l’appartement. Il y avait un angle mort où aucune image n’était perçue. Un vrai scandale !
La généreuse Média-Info offre même une télé portable pour Mme Heurk.
Kleg et Cnommos terminent leur passage publicitaire en se félicitant de leur bonne action et magnifique prestation. Un vote est incessamment mis en place par le central. Ils fixent les chiffres avec attention, le sourire figé... les compteurs montent et atteignent presque le sommet. Oui, ils sont toujours considérés comme les meilleurs...
Ce petit moment de détente, offert par la Média-Info, les a ragaillardis et leur a redonné une assurance diabolique.

Pendant ce temps, Suétone, toujours sur Naxo, se calque au paysage avec aisance, sans à coup, ses focales dirigées vers le sol. Rien ne lui échappe ! Elle filme sans arrêt et envoie ses images sur les réseaux satellites. Son émetteur est tellement puissant que rien ne peut le brouiller, ni même interrompre son émission ; elle est prioritaire ! Mais qui oserait couper une émission prioritaire ! Un appel au secours ? Ou encore d’urgence ? Ils ne sont pas prioritaires à l’information ! Ils resteront sur une file d’attente de deuxième ordre peut-être, sauf si l’appel indique à la caméra qu’une catastrophe imminente va ou vient de se produire dans SA zone ! Alors le navigateur de la caméra enregistre les coordonnées de l’appel et elle fonce en ligne droite sur cet événement que l’info, que “la MI” votre amie la Média-Info, doit absolument couvrir. Les secours ne seront prévenus que si les sauveteurs regardent la retransmission de l’événement. Bien entendu ! La Média-Info couvre aussi les sauvetages ! Et elle offre le matériel aux secouristes, à ces héros des temps modernes. Oui, un matériel spécialement conçu pour eux, avec un pourcentage de défaut adéquat de panne, de casse, de fragilité, pour qu’ils puissent devenir le temps d’une retransmission un HEROS grâce à la Média-Info ! Nous pensons à nos téléspectateurs, NOUS !

Suétone survole un terrain parsemé de tranchées dévastées, à une altitude moyenne de dix mètres. Ses yeux électroniques, des capteurs ultra-sophistiqués, renvoient les images d’un champ de bataille, où il ne reste plus que quelques mastodontes de métal éventrés et des détritus éparpillés ici et là. Elle change constamment de direction, de minute en minute, à la vitesse de la lumière. Son détecteur biologique renifle le terrain de toute sa puissance, à la recherche des derniers survivants retranchés quelque part sur cette planète.
La bataille est sur le point de se terminer par une victoire des Naxiens.
Nos bucoliques reporters et nostalgiques des temps anciens, comme aiment se décrire Kleg et Cnomos, continuent à analyser sur leur moniteur ce que Suétone leur transmet : paysages dévastés, corps de soldats déchiquetés, robots démantibulés... Ils effectuent leur travail de routine. Ils ne sont pas les meilleurs pour rien. Ils sont les rois des scoops truqués, des directs les plus meurtriers de l’histoire et des fouteurs de merde de première. C’est leur dur métier de journaliste !
Un reflet particulier attire l’attention de Kleg et Suétone immédiatement fonce dessus. La caméra focalise l’endroit au maximum et ils peuvent apercevoir derrière un renforcement du terrain...
DES SOLDATS !
Enfin ! Kleg et Cnomos sourient de soulagement.
Ils sont une douzaine, aux insignes de l’armée régulière Terrienne, revêtus de leurs puissantes armures de combat, visières baissées. Les armes sont connectées aux gants, aux ceintures, aux plastrons, aux batteries gavées d’énergie, prêtes à cracher leurs pouvoirs de mort.
Kleg s’emporte frénétique :
- Regardez moi ces enfoir... s’étrangle-t-il, avant de se reprendre mielleux, Ô par le grand écran, regardez- moi ces enfants de la Média-Info qui portent des combinaisons biologiques et empêchent leur détection par nos appareils.
Cnomos est sous le choc et lance :
- C’est magnifique, mesdames et messieurs ! Grâce à la Média-Info vous allez assister à un combat en direct ! Rien que pour vous, chers téléspectateurs.
D’un geste rapide, il envoie l’information d’une présence ennemie sur les ondes Naxiennes.
Kleg trépigne de joie :
- Ô les vilains, vouloir se cacher de NOUS ! Chers amis téléspectateurs, les paris sont ouverts sur le chanel 77 ! Les Naxiens vont-ils tomber dans l’embuscade terrienne ? Vous devez vous dépêcher de voter ! Oui tout de suite ! Chers amis Naxiens, vous aussi vous pouvez voter ! Les ondes sont ouvertes pour VOUS à cet instant ! Grâce à la Média-Info ! Nous vous rappelons que la Média-Info est totalement neutre et cela dans tous les conflits !
Kleg et Cnommos, dans leur module de retransmission, fixent les chiffres du vote. Le Oui l’emporte à 79% ! Ils exultent et appellent leur directeur de programme :
- Equipe première au central de diffusion ! demande d’une petite voix fluette, Kleg.
- Quoi ! grogne une voix bourrue. Qu’est ce que vous voulez, vous deux ?
- Un direct ! Sur le channel 1, le Big ONE !
- Impossible, le direct est occupé en ce moment par Truckeur et Fumiè. Ils sont sur un sérial killer de première classe, dans une maison de retraite.
- On a beaucoup mieux, patron. Nous avons dix survivants de l’armée régulière sous les yeux. On va assister à leur fin ! Les Naxiens ne vont pas tarder à les trouver et comprendre l’embuscade tendue par les Terriens. Oui les Naxiens viennent dans notre direction. Un vaisseau de largage ! Une section entière ! Il va y avoir du sang ! Les gars en bas, ils en veulent. Ils sont prêts au combat... Après un court silence, Kleg crie en feignant l’étonnement : C’est une section d’assaut de la force spéciale. C’est merveilleux ! Les Naxiens ne s’y attendent pas. Ils possèdent les armes les plus dévastatrices de toutes les galaxies. Nom d’un saint présentateur, ça va gicler partout !
- D’accord ! ricane leur chef. On vous libère l’antenne dans une minute ! Vous avez intérêt que cela devienne une véritable boucherie, sinon je...
- Avec nous sur le coup, pas de problème ! certifie Kleg. Nous allons directement sur place avec le module de retransmission. Ces cons sont capables de brouiller l’émission.
- D’accord, j’efface notre conversation du central... Vous pouvez continuer votre reportage, dit-il en mâchouillant un cigare.
Les soldats terriens n’entendent, ni ne voient arriver Suétone suivi du mini-jet dans leur dos. Leurs détecteurs de combat ne reniflent pas ces engins inoffensifs.
Le sergent, un vieux de la vieille, a néanmoins ressenti la présence dans son dos d’un intrus. Gardant un sang-froid exemplaire, il glisse un oeil sur ses écrans arrières. Il découvre l’engin brillant et les yeux électroniques de Suétone qui le focalisent en gros plan. Un grognement sort d’entre ses lèvres.

Un bip dans le module signale qu’ils sont à l’antenne.
Kleg s’époumone :
- C’est horrible, Mesdames et Messieurs, nous arrivons à l’instant sur les lieux ! Deux sections de combat vont s’affronter...
Le sergent fait face au mini-jet de retransmission : il sait que deux journalistes de la Média-Info viennent de découvrir sa position, cachés derrière leur verrière opaque. Son mouvement ne passe pas inaperçu aux yeus de ses soldats qui se retournent en formation de défense, leurs canons thermiques prêts à tirer.
Les douze soldats survivants de l’armée régulière Terrienne fixent Suétone. À moins de cinq mètres derrière elle, protégé par une bulle magnétique opaque, le mini-jet de retransmission aux insignes de la Média-Info flotte légèrement. Leurs regards d’abord ahuris se transforment en regard de haine épaisse et dans un même élan, en une parfaite synchronisation, le sergent et les onze soldats empoignent leur concasseurs de bulles.
L’incompréhension balaie l’esprit des deux journalistes.
- Mais que font-ils ? bégaie Kleg.
Cnomos ricane mal à l’aise :
- Ils nous auraient presque foutu la trouille ces cons ! Nous sommes intouchables bande de conn...
Avant que Kleg et Cnommos ne réalisent, une salve gigantesque écrase le module de retransmission au coeur du néant. Aucune explosion, aucune souffrance.
Suétone, en une nano-seconde comprend qu’elle est en danger et s’expulse à plus de dix kilomètres de hauteur. Elle focalise au maximum avec ses optiques sur les soldats.

La scène explose en direct sur les écrans du grand patron, John Derby Center Smith, de la Média-Info. Le crépitement d’une coupure de retransmission remplace les images et annonce la fin de l’enregistrement.
Le directeur des chaînes transpire d’une mauvaise sueur et déchiquette son cigare avec ses dents sous l’effet de la nervosité. Il sursaute quand d’une voix sèche John Derby Center Smith lui demande :
- Qui a vu ce reportage ?
Il jette un regard désespéré à son grand patron, qui lui aussi gigote sur son fauteuil (éjectable).
- L’équipe de jour du chanel one... répond-t-il d’une voix enrouée.
Plus d’une minute s’écoule avant qu’un écho à ses mots ne vienne briser le silence du bureau :
- Bien, crache une voix de vieillard par des haut-parleurs invisibles et il débite à ses subalternes : nous avons vu aussi... aujourd’hui des soldats ont tiré sur des journalistes de la Média-Info ! C’est interdit... Personne... non, personne n’aurait jamais seulement imaginé que quelqu’un puisse un jour braver la Média-Info...
La sonnerie d’un appel coupe la voix du vieillard, John Derby Center Smith à la limite de l’apoplexie s’excuse :
- Veuillez me pardonner Monsieur... un appel de channel one.
- Prenez mon Cher, le rassure le vieillard.
- Merci Monsieur.
John Derby Center Smith décroche nerveusement son combiné :
- Oui, grogne-t-il.
Au fur et à mesure, le visage du grand patron se décompose et il parle à voix haute :
- La caméra de l’équipe première fonctionne toujours et nous recevons encore des images de Suétone ! Certes des images de mauvaise qualité, mais des images quand même.
L’équipe s’attend à une boucherie hors du commun, à une mare de sang comme ils n’en ont encore jamais vue.
- Que se passe-t-il ? aboie John Derby Center Smith de plus en plus mal à l’aise. Quoi ? C’est imp... c’est impossible...
- Ouvrez le canal de diffusion privé, John Derby Center Smith, ordonne la voix du vieillard.
Les téléviseurs privés s’allument et sur les écrans apparait l’incompréhensible :
Les robots Naxiens et l’unité des forces spéciales Terriennes se trouvent côte à côte. Vivants !
Le commandant de la force Naxienne rejoint le sergent terrien et ils se serrent la main. Un geste de haute trahison puni par la peine de mort : la désarticulation. Et au comble de la stupéfaction, ils vont ôter leurs tenues de combat !
Non ! hurlent une dizaine de voix dans les locaux de chanel One.
- C’est interdit par les lois galactiques de la guerre de la Média-Info ! INTERDIT !
Le vieillard quelque part sur la Terre tape sur deux touches... il toussote à l’attention des deux directeurs :
- Ne bougez pas de ce bureau, je vous prie...

Une heure plus tard, un deuil universel est proclamé ! Pour le décès de Mr John Derby Center Smith et du directeur général des programmes, ainsi que pour Kleg et Cnommos, et de l’équipe entière de Channel One. Tous morts dans les flammes du plus grand attentat de tous les temps ! L’immeuble de la Média-Info a été entièrement détruit par un vaisseau transport qui l’a percuté de plein fouet. Partout sur toutes les chaînes de la Média-Info et de Channel Two, on peut lire : les anti-Média ont encore frappé ! Vous êtes avec nous ou contre NOUS ! Luttons ensemble contre la sauvagerie et la barbarie ! Naxo berceau des terroristes a été annihilé ! Pour sauver votre planète : dénoncez les terroristes !

Suétone n’a pas explosé : son système d’autodestruction déréglé n’a pas fonctionné. Mais ce n’est pas grave, seules une dizaine de personnes visionnent ces images dans le secret d’une tour d’argent. Elle a été promue caméra espionne de la Média-Info et d’un certain vieillard...

Oui, ces images auraient pu bouleverser l’ordre de l’univers. Celui de la Média-Info... Mais c’est sans compter sur le pouvoir de la Média-Info. Dans des trillions de foyers, on assiste à l’annihilation de Naxo, la planète des terroristes, par un missile d’antimatière. Mais personne ne saura l’effroyable vérité, au grand soulagement de ces dix personnages qui se vantent d’avoir eu chaud quelques secondes... Ha, oui ! Ils ont failli avoir le scoop du millénaire.

Quelques secondes avant l’annihilation de Naxo, Suétone avait filmé cette scène INTERDITE :
Les Naxiens et les Terriens s’examinent avec étonnement :
- Merde ! On est pareils... On se fait avoir depuis des millénaires... braille le soldat Naxien Ruhfur en faisant face à son ennemi le Terrien.
- Et en plus on parle la même langue, répond Khan le Terrien.

Post-scriptum :
Heureusement, les journalistes ne travaillent pas tous pour la Média-Info toute bienveillante de la vraie information. D’autres luttent encore dans le silence du papier.

Jack Sigurson